Ultra Trail Sancy 2009 / God save the truffade - 3ème partie

Publié le par Oslo

Si vous avez manqué l'épisode précédent, c'est là

D’ailleurs on est tout de suite mis dans le vif du sujet. On a passé la barrière horaire, super ! C’est bien beau mais maintenant, il va falloir se cracher dans les pognes ou plutôt dans les jambes. La grimpette qui s’annonce pour atteindre le Roc du Cuzeau (1737m) est du genre pervers. Au début, elle vous endort avec un sentier roulant et plutôt large et puis lentement, mais d’une façon irrépressible, la pente s’accentue et le rythme chute. Devant moi, deux gars sympathiques papotent tout le long. Celui qui mène le train est un local du genre costaud qui plante les bâtons et commente le paysage.

 

 

J’essaye d’en profiter. D’une part parce qu’on apprend toujours des choses et d’autre part parce que ça m’évite de cogiter. Faut dire que là, je vois sur le Garmin qu’on progresse à 3 km/h et ça me met un petit coup au moral. Je me dis que si ça continue longtemps comme ça, on ne passera jamais la seconde barrière horaire. En fait je l’avoue, là, je ne fais pas le malin. Parce que non zut, crotte à la fin, j’ai pas fait tout ça pour être coincé par la seconde barrière horaire ! Mais faut prendre son mal en patience… Parce que je suis incapable de monter plus vite. Pire, les deux grimpeurs me lâchent.

 



Et en plus nous entrons dans une longue partie d’ultra brouillard comme il faut, qui me conforte dans mon choix d’avoir gardé mon coupe vent depuis le matin et d’avoir été prudent jusqu’alors. Je pioche pas mal là, dans cette côte. Avec le recul, je pense que c’est le contrecoup psychologique d’avoir passé le cap de la Croix St Robert. Je m’étais tellement dit que je devais arriver là, au moins… Parce que sinon, le corps répond encore bien. Aucune douleur, pas de crampe. Y’a pas de raison que ça coince, il suffit de continuer à mon rythme. Je m’encourage par des « Allez Guilhen, on y va tranquille ! » (ben oui, Oslo c’est un pseudo hein…) et ça marche. Je m’arrête même faire quelques photos parce que ça vaut le coup, malgré le brouillard. Il y a des passages qui valent le détour.

 

 

Nous voilà au Roc de Cuzeau, petite bascule avec descente légère qui me permet de revenir sur mes deux acolytes. Je les retrouve avec plaisir, toujours occupés à discuter des bouquetins qui squattent les lieux en temps normal. Là, ils n’y sont pas, on ne sait pas trop si c’est à cause du brouillard ou des effets de la digestion combinés à ceux de l’effort qui nous font dégazer sec…

 

 

Le Puy des Crebasses est passé à son tour (1762m) et c’est maintenant la descente réparatrice (ah bon ?) qui va nous mener aux pieds de la dernière difficulté du jour : l’ascension du Puy du Sancy, point culminant de la course à 1885m.

Dans la descente je me lâche un peu. Je sais bien que ce n’est pas sérieux mais bon, j’estime qu’après plus de 8h de course, j’ai droit à tenter le diable (un peu, juste les cornes…)

 

 

Nous traversons un joli sentier à flanc de colline, dans les bois, au milieu des fougères et nous redescendons sous les nuages. Bon, le soleil fait définitivement la gueule, on a du le contrarier, mais au moins, il ne pleut pas et la température reste agréable. Je profite d’une pause technique pour me retourner et mesurer le chemin parcouru. Les effets du brouillard conjugué aux pics rocheux m’évoquent les Blue Mountains à l’ouest de Sydney, que je me souviens avoir visité dans des conditions climatiques similaires…

 

 

Le terrain s’est aplani pour quelques centaines de mètres seulement. La descente est terminée, il faut maintenant se préparer au dernier effort. Long. Plusieurs kilomètres d’ascension pour avaler plusieurs centaines de mètres de dénivelé. A mon poignet, le Garmin annonce 55 kms et 8h24 de course. Je réalise que je n’ai jamais couru aussi longtemps (le maximum datant de la Sainté Lyon 2008 avec 7h40). Mais je sens aussi que le corps réagit encore bien. Toujours pas d’alerte. Je me suis remis de mon petit coup de mou de la montée précédente. En revanche, ce gars qui est assis au bas de la côte ne semble pas au mieux. Je m’arrête un moment, il est livide. Il me dit qu’il va vomir. Je lui demande s’il a de l’eau et du salé. Je lui propose de lui en laisser mais il ne veut pas… Pas facile. Il me dit de continuer, qu’il vomit tout ce qu’il mange, qu’il va attendre un moment.

 

 

J’hésite pas mal et puis je reprends ma route. Il y a deux spectateurs un peu plus bas, il pourra facilement trouver du secours en cas de besoin.

Là, ça grimpe méchamment. Avec des gros cailloux dans les pattes, impossible de courir. De toute façon, ça me va, je marche à mon rythme. Un gars est bien gêné avec ses bâtons, il me laisse passer. Je suis seul à nouveau, et je constate avec plaisir que les cailloux ont laissé place à un sentier bien propre, avec quelques racines mais où il est possible de courir. Dès que la pente s’adoucit, je trottine.

 

 

Ma fréquence de photos va commencer à baisser maintenant. Faut dire qu’au fur et à mesure que nous nous rapprochons du Puy de la Perdrix, le brouillard s’intensifie, la température baisse et le rythme s’en ressent. Je suis toujours inquiet sur l’heure de passage à la prochaine barrière, 17h pour avoir passé le Puy de la Perdrix et basculer de l’autre côté avant le Puy du Sancy. Je vois que je monte entre 2,5 et 3 km/h au plus fort de la pente, mais je préfère en garder sous le pied car il restera encore l’ascension finale du Sancy puis la descente sur le Mont Dore, si d’aventure je suis dans les temps…

 

 

Au détour d’un virage, au moment où le brouillard est moins épais, j’aperçois une couverture de survie dépliée. Une concurrente est en train de s’envelopper dedans. Je m’approche, demande ce qu’il se passe. La fille est exténuée. Elle me dit qu’elle n’a jamais fait si long et qu’elle n’en peut plus. Elle est au bout du rouleau. Je n’essaye pas de la convaincre de continuer, c’est toujours délicat. Surtout qu’elle semble vraiment rincée. Je lui demande si elle veut à boire, à manger, mais elle a tout ce qu’il faut. Je regarde ma montre pour me souvenir du point kilométrique où elle est, et je lui dis que je signale son n° de dossard et sa position au prochain point de contrôle.

 

 

Là, ça ne paraît pas, mais je suis heureux. Parce que je viens de passer la 2ème barrière horaire. Concentré sur mes pas dans le brouillard, luttant contre les rafales de vent qui sont puissantes par moment, j’ai presque failli louper le passage de cette foutue barrière horaire. Les organisateurs sont là, planqués derrière un monticule rocheux pour se protéger des assauts d’Eole. Je pique un carré de chocolat et leur signale la concurrente enveloppée dans sa couverture de survie. Talkie Walkie : quelqu’un va la récupérer.

De mon côté, l’objectif qui me faisait avancer depuis plus de 2h30 est atteint. Je suis passé avec un peu plus de 30 minutes d’avance à la 2ème et dernière barrière. La fatigue qui commence à s’accumuler m’empêche de jubiler. Nous passons le téléphérique et j’ai une pensée pour Zeltron…

 

 

Il nous reste à présent une dernière petite ascension pour franchir le sommet de cette course, qui lui donne son nom : le fameux Puy du Sancy. La végétation a disparu depuis un petit moment, le brouillard s’est épaissi comme un pilier de rugby du Gers élevé au foie de canard et… et ce vent ! Dingue comme ça souffle.

 

 

Les derniers mètres pour gravir le Sancy sont terribles. Les conditions ne sont pas dantesques mais elles sont quand même rigoureuses. J’ai une pensée pour les concurrents de l’an passé, qui ont affronté ce parcours sous une météo vraiment exécrable, qui a obligé les organisateurs à neutraliser la course au 50ème kilomètre. J’imagine combien ça a dû être dur pour tout le monde…

 

 

Ça y est ! J’y suis ! Sur le toit du Sancy, point culminant de l’Auvergne ! Bon, inutile de vous dire que vu les conditions météo, je ne m’attarde pas. Juste le temps de faire une petite photo des gars qui me suivent et qui avancent courbés contre les rafales de vent. Mais je suis heureux d’être là. Comme je le disais le matin à un organisateur, si on veut du calme et du soleil, on va bronzer sur une plage, on ne fait pas un trail de montagne… On est venu là pour ça, non ? Allez, je repars, le sentier passe entre deux rochers, une chaine pour s’aider à descendre de l’autre côté…

 

 

Derrière c’est le bonheur. Ça me fait penser à l’évasion de Steve Mc Queen dans la grande évasion, et cette scène mythique où il se barre avec la Triumph TR6 : derrière les barbelés allemands c’est la Suisse, la liberté… Ben là c’est pas aussi tragique ni allégorique mais bon, derrière cette paroi rocheuse où le brouillard chuinte de partout, c’est la descente vers le Mont Dore. 7 ou 8 kilomètres maxi !

 

 

Je me remets à courir, tendons et muscles restent cois. Je pense qu’ils ont jeté l’éponge depuis un moment, et attendent juste que ça se termine, trop résignés pour être douloureux. Pourtant un truc incompréhensible se passe : ma tête en veut encore. Y’a une voix intérieure qui me dit : « tu crois que tu pourrais en faire dix ou vingt de plus ? » et qui se répond elle-même « je suis sûr que oui ! ». Bon, je vous rassure : on ne le saura jamais. J’ai pas jardiné pour en rajouter et constater si oui ou non je pouvais en faire beaucoup plus. Faut savoir garder la tête froide. Et je préfère rester sur une impression positive…

 

 

Au passage d’un petit groupe d’organisateurs, ils m’annoncent 6 km de descente, je leur réponds « super ! » et l’un d’eux ajoute « tu as l’air frais comme un gardon ! ». Je me surprends à répondre « ça peut aller, ouais ! » qui me laisse avec l’étrange impression de faire preuve de suffisance. Mais bon, voilà, je me sens bien, encore frais, c’est vrai. Pour une fois, je peux en profiter quand même !

Au fur et à mesure que je descends vers le Mont Dore, le brouillard s’efface et le soleil refait son apparition. J’avais peur que la descente me flingue mais ça se passe bien. Je prends le temps de m’arrêter pour retirer quelques gravillons au fond des mes godasses.

 

 

Je suis dans un état de zen comme j’en ai rarement connu. Je rattrape un gars qui fait une pause pipi. Le sentier est maintenant roulant, nous avons quitté les paysages lunaires du haut du Sancy. Je lui dis « maintenant c’est que du bonheur ! » et il acquiesce avant de se remettre en route et de me dépasser à toute vitesse. Moi, j’ai pas envie d’accélérer. J’ai envie de continuer, de faire durer cet instant où l’on sent que l’écurie se rapproche, et qu’on a atteint son but. En même temps je déteste cette petite mort qui précède immédiatement la fin d’un ultra. Quand on voudrait que ça continue, et qu’on sait pourtant que ça va s’arrêter. Des semaines d’entrainement, des kilomètres usés, des réveils matinaux, des bobos, des doutes et des questions… Sans oublier des tonnes de bonheur. Tout ça va s’arrêter dans 3 km, c’est indiqué sur un panneau.

 

 

Dernier autoportrait, derniers virages, je rattrape un gars et nous restons dans cet ordre. La descente est raide pour rejoindre le Mont Dore, quelques cailloux et puis un peu de goudron défile sous nos pieds. On entend le speaker et bientôt on aperçoit les maisons du Mont Dore. Je ralentis pour profiter à fond des derniers mètres. Quelques applaudissements, des sourires, trois deux un zéro : passage sous l’arche. La suite c’est un dossard qu’on me reprend, dommage, je l’aurais bien gardé celui-là…

Je marche. Comme un automate. Il est 17h30, j’ai mis 10h27 pour boucler les 70 kms et 3700m de D+ du parcours. Je suis un peu ailleurs, hagard. Encore dans la course, presque envieux de ceux qui y sont encore…

 

 

Je ne veux pas trainer trop longtemps ainsi, de peur d’attraper froid. Alors je file à la voiture pour récupérer mon sac destiné à la douche. Une fille de l’organisation m’indique les douches mais me précise qu’après le passage des concurrents du 17km et du 34km, il n’y aura sûrement pas d’eau chaude. Je lui réponds que c’est pas grave, du moment qu’il y a de l’eau pour se laver… Derrière j’ai 2h45 de route à faire pour rentrer sur Lyon, je veux me décrasser avant de prendre le volant. Dans les douches, tout le monde discute, je retrouve ceux qui ont passé avec moi la 2ème barrière horaire et puis le sommet du Sancy. On se raconte notre fin de course. Tout le monde est heureux d’être allé au bout du parcours. En ressortant, je constate que les semelles de mes NB 908 n’ont pas apprécié les cailloux du Sancy. Même pas 200 bornes au compteur pourtant… à recoller plus tard…

 

 

Après la douche relaxante, plaisante, revigorante, je file me restaurer sous la tente… Bien sûr, c’est une petite truffade pour boucler la boucle ! Est-ce cette potion magique qui m’a fait me sentir aussi bien dans ma tête et dans mon corps toute cette journée ? Je préfère le penser. Même si une petite voix insiste à l’intérieur de mon crâne. Elle me rappelle que pour une fois j’ai vraiment coupé pendant les dix jours qui ont précédé la course (3 footings de 30 à 45’ maxi sur cette période). La fraicheur m’a sauvé la mise. Elle m’a permis de ne pas exploser pendant la course. Malgré le fait que je sois arrivé en ayant fait sauter 2 semaines complètes de plan spécifique début août pour soigner une tendinite d’Achille. Malgré le fait que je n’ai pas pu bouffer du dénivelé à l’entrainement comme il l’aurait fallu. Malgré le fait que je n’ai pas pu faire de vraie sortie longue au bon moment. Mais je préfère penser que c’est la Truffade qui m’a sauvé. C’est plus rock and roll. Et ça correspond plus à ma vision de la course à pied...

 

 

Voilà ! Ma saison 2009 chaotique, marquée par 3 mois de blessure interminables entre janvier et avril, s’achève sur cette course. Et quelle course ! 3 jours après, la récupération se passe bien. Quelques raideurs dans les cuisses, mais aucune douleur, Achille semble s’être définitivement tu ! Pour autant je vais le chouchouter, lui et tous ses autres potes tendons… Je me prends 3 semaines de coupure complète pour déménager dès ce samedi. Je vais quitter le centre ville de Lyon pour rejoindre les environs de l’Arbresle et des monts du Lyonnais. Je pense que je vais m’éclater à m’entrainer sur des sentiers vallonnés, ça me changera du bitume Lyonnais qui fait des dégâts sur mes tendons. Je pourrais tester mon nouveau terrain d’entrainement pour ma reprise, début octobre… Et puis du sentier vallonné c’est juste ce qu’il me faut pour préparer les ultra échéances de 2010 auxquelles je pense déjà. Faut dire que ce Sancy m’a remis en selle, en appétit et m’a rassuré. Alors je vous dis : rendez-vous bientôt !

Publié dans Compte Rendu de course

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C
<br /> Quel beau récit. Je me demandais ce que tu devenais. Bravo pour cette belle course et toujours avec cette belle façon de raconter.<br /> <br /> <br />
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O
<br /> @Didier : merci à toi ! Faut venir faire le Sancy l'an prochain ! Je ne sais pas encore, j'y serais peut être à nouveau, la distance passant à 80 kms, le parcours va changer mais devrait être tout<br /> aussi beau ! au plaisir de se croiser là bas ? bons entrainements à toi !<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Merci, pour ce récit en 3 volumes.<br /> Pour avoir participer au semi marathon "murol - mont d'ore" et avoir passé 15 jours à La Tour d'Auvergne, je pense retourner l'année prochaine au Mont d'Ore, tant le paysage est merveilleux,<br /> accessible pour de jeunes enfants...<br /> C'est un énorme plaisir de suivre tes aventures.<br /> J'aimerai en faire autant, faute de temps et de terrain propice à l'entraînement, je pratique la course à pied pour l'entretien et me donnant des défis de temps à autre, sur la présence en trail<br /> bretons (d'une moindre difficulté)<br /> bonne continuation<br /> mes respects<br /> vous avez de l'humilité malgré l'exploit de terminer ce trail...<br /> Ce serait un plaisir de pouvoir vous accompagner sur une course...<br /> à bientôt l'artiste.<br /> Didier<br /> <br /> <br />
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G
<br /> J'ai enfin eu le temps de savourer ce récit. C'est que du bonheur cette course... Et puis quel plaisir après cette année "délicate". Et c'est quoi les ultras écheances de 2010...?<br /> <br /> <br />
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O
<br /> @Grumlie : oui, çe fut une belle belle belle course. Surement la plus belle de celles que j'ai faites. Pour l'an prochain, je cogite dur <br /> <br /> <br />
J
<br /> Merci pour ce récit. Je vais le recommander à 2 ou 3 collègues! j'ai fait le 17km en ce qui me concerne et je suis bien d'accord, ce sancy c'est magnifique ! qui sait je monterai peut être en<br /> distance ds qq tps ... en tout cas comme tu racontes, ça donne envie !! merci à toi.<br /> <br /> <br />
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O
<br /> @Julien : de rien :) Le Sancy est à refaire, tu pourras le tester sur plus long dès l'an prochain. On s'y croisera peut être ?<br /> <br /> <br />